28 hectares de forêts menacés, un bilan carbone négatif
Mise à jour du 5 avril 2023 concernant le projet de ferme solaire de Saint Trinit : le conseil municipal a finalement voté contre la modification du PLU qui aurait ouvert la voie à la mise en oeuvre du projet. Les conseillers municipaux ont été sensibles à la très grande réticence des habitants du village vis à vis de ce parc photovoltaïque. Si celui ci pouvait présenter un intérêt économique pour les propriétaires des terrains concernés, l'impact environnemental était jugé trop défavorable pour aller plus loin. La terre des futur avait soutenu l'opposition des riverains au projet en développant l'argumentaire environnemental ci dessous.
Un collectif de résidents de la commune de Saint Trinit, située sur le Plateau d’Albion, dans le Vaucluse, nous alerte sur un projet d’installation de ferme solaire sur leur commune. Ce projet, s’il devait voir le jour, conduirait à déboiser 28 hectares de forêts !
Outre l’impact sur le paysage, la destruction des espaces forestiers contribue à réduire les habitats nécessaires à la biodiversité, et, surtout, à altérer le cycle de l’eau. Pourtant, ce dernier est un rempart de protection essentiel contre les effets du changement climatique.
De quoi s'agit t'il ?
Les caractéristiques du projet de ferme solaire de Saint Trinit
La société Qenergy, filiale d’un groupe international de nationalité Coréenne Hanwha propose d’installer un parc photovoltaïque sur la commune de Saint Trinit. Le parc s’étendrait sur une surface d’une trentaine d’hectares, impliquant de déboiser au préalable la zone concernée. Le promoteur fait miroiter une production d’électricité « verte » pouvant alimenter avec une puissance installée de 29MWc 21 000 habitants et d’éviter l’émission sur plus de 11000 tonnes de CO2 chaque année. Il est attendu une durée de production de 1520 heures annuelles (taux de disponibilité 17%). La production annuelle attendue de cette ferme solaire se situe vers 44GWh. Le parc doit rapporter environ 420000 euros par an à la commune.
L'opposition des riverains de Saint Trinit
Des habitants de Saint Trinit se sont réunis dans un collectif pour s’opposer à ce projet de ferme solaire, qu’ils jugent très défavorable pour l’environnement. En effet celui-ci serait très préjudiciable à la biodiversité suite au déboisement. Le parc solaire porterait aussi une atteinte forte à la beauté des paysages, qui seraient défigurés par cette installation. La zone du Plateau d’Albion est en effet proche du Parc du Lubéron, aux paysages exceptionnels, au cœur du pays de la Lavande. Enfin, le PLU de la commune, dans son état actuel, ne permet pas cette installation. Les membres du collectif incitent le conseil municipal à ne pas faire évoluer ce PLU pour permettre l'installation de la ferme photovoltaïque.
Le collectif a lancé une pétition en ligne contre ce projet. Un site web a également été mis en ligne pour informer sur les développements de leur action.
Entre Montagne de Lure et Lubéron, une avalanche de déforestations
Dans cette magnifique région autour de Saint Trinit, entre Montagne de Lure et Lubéron, des dizaines d'installations, déjà installées ou en projets détruisent la forêt locale.
On connait la fragilité des écosystèmes, les sécheresses qui progressent sous la poussée du changement climatique, l'augmentation du risque d'incendies de forêts... On ne peut alors que déplorer l'inconséquence de ces projets de centrales photovoltaïques. La carte ci dessous, réalisée par le collectif les amis d'Elzéard est très parlante. L'ensemble de ces projets de fermes solaires pourraient conduire au déboisement de centaines d'hectares de forêts.
L'avis de la Terre du Futur
Saisis par un membre du collectif de Saint Trinit, nous émettons l'avis suivant :
Des arguments habituels, sans fondements réels
Dans ce type de projet, il est d’usage d'affirmer que le parc photovoltaïque permet de produire une électricité verte. Au 21ème siècle, la couleur à la mode est le vert, elle recouvre chaque projet industriel pour faire croire aux populations peu averties que ce qui est proposé est paré de vertus écologiques. En fait, on le verra plus bas avec l’examen du bilan carbone du projet de ferme solaire de Saint Trinit, que le bilan est loin d’être favorable et que les chiffres annoncés par le promoteur l’ont été avec une rigueur toute relative…
Comme l’indiquent les opposants à ce projet, l’atteinte qu’il porte à la biodiversité est immense et doit être considérée comme une raison de ne pas le lancer, surtout compte tenu des enjeux économiques, somme toute assez faibles. D’autant plus que le matériel sera acheté en Chine, ce qui n’arrangera pas la balance commerciale du pays.
Il est souvent avancé que la France devrait rattraper un retard en matière production d’électricité renouvelable. Cependant la France possède une des productions d’électricité les plus décarbonée d’Europe, et le besoin de renouvelables est bien moins nécessaire qu’ailleurs. Il ne faut donc pas se laisser endormir par ce raisonnement.
Affirmer aussi que les habitants disposeront d'une production locale d’électricité n’a pas de sens non plus. Sauf à s’isoler complètement du réseau EDF, les habitants de Saint Trinit sont alimentés par l’ensemble du réseau, les déplacements d'électrons formant le courant pouvant provenir aussi bien d’une centrale nucléaire comme d’un barrage des Alpes… Par ailleurs rappelons que le solaire ne produit que de jour, dans de bonnes conditions météorologiques. Le reste du temps, il faut pouvoir compter sur d'autres moyens pour disposer des services de la fée électricité.
L’ADEME, dans un avis rédigé sur le solaire et le photovoltaïque, insiste sur le fait que pour les installations solaires au sol, le choix d’implantation doit se porter en priorité sur des surfaces non forestières et impropres à l’agriculture (friches industrielles, anciennes carrières, sites présentant une pollution antérieure, zones industrielles ou artisanales...). Déboiser pour installer une ferme photovoltaïque va à l’encontre de cette recommandation.
Enfin, le promoteur ne donne pas d'information sur les besoins en eau nécessaires pour assurer le nettoyage périodique des panneaux.
L'atteinte au cycle de l'eau, le véritable danger
Venons-en à la forêt. Il faut bien faire comprendre à toutes les parties prenantes de ce projet que nous devons tout faire pour préserver nos espaces boisés et les développer. Dans la crise climatique qui s’abat sur nous avec une grande violence, les espaces forestiers sont un des derniers remparts dont nous disposons pour amortir le choc. Dans la croyance populaire, les forêts sont importantes pour fixer le gaz carbonique et ainsi limiter l’effet de serre. C’est un effet réel et factuel (le projet enlève une capacité de séquestration de près de 5000t de CO2), mais ce n’est pas le plus important pour le climat. L’effet le plus important des forêts pour le climat, c’est la protection du cycle de l’eau. Pour résumer :
- Un sol avec un couvert forestier permet à l’eau de pluie de s’infiltrer plus facilement que dans un sol cultivé ou sans culture (de l’ordre de 5 fois plus). L’eau de pluie pénètre alors en plus grande quantité dans les sols et permet d’alimenter cultures, végétations ou les nappes phréatiques. Elle permet aussi de développer la vie souterraine des sols. On limite aussi ainsi le ruissellement vers les cours d’eau. Dans un contexte où les régimes de pluie évoluent de façon défavorable (quantités en baisse, distribution des pluies plus abondantes en hiver et moins en été), il est vital de pouvoir fixer l’eau dans les sols. C’est important notamment dans les régions méditerranéennes qui souffrent d’un déficit hydrique depuis deux ans.
- Les couverts forestiers génèrent ensuite en été une évapotranspiration qui permet d’abaisser la température localement (phénomène endothermique), d’évacuer cette chaleur latente dans l’atmosphère et qui pourra retomber sous forme de pluies ailleurs sur les continents. Les pluies sur les continents proviennent de 30 à 70 % en fonction de la localisation, d’évaporation terrestre et non maritime, favorisée par le couvert forestier.
Dans le contexte du changement climatique, en France et plus généralement en Europe, couper un arbre c’est faire un pas vers la sécheresse. Raser une forêt, c’est avancer vers la désertification.
Un bilan carbone défavorable malgré l'affirmation du promoteur
Il y a une première incohérence dans le bilan carbone présenté par Qenergy. Tout d’abord, dans la présentation des éléments clés du projet sur la page web du promoteur, on peut lire que le projet permettrait un gain d’émission de CO2 équivalent à 11259 tonnes annuelles (On applaudit pour la précision...).
Seulement, dans la note d’explication faisant suite à des questions des riverains, les émissions évitées sont revues à la baisse, à 77825 tonnes de CO2 sur la durée du projet, soit 2600 tonnes annuelles environ, donc 4 fois moins que la première estimation. Où est la cohérence ?
Nous avons donc réalisé notre estimation du bilan carbone de ce projet avec les éléments mis à disposition. Pour faire simple, on peut estimer ce bilan carbone de deux façons :
- Par la méthode analytique de QEnergy qui se base sur les émissions de chacun des postes, fabrication, transport, installation, maintenance, déboisement, etc. Avec cette méthode, on trouve 74000 t d’émissions CO2 sur la période, supérieures aux 37000 tonnes estimées par QEnergy. Les facteurs d’émissions utilisés par QEnergy liées à la fabrication des panneaux en Chine semblent sous-estimés. La prise en compte du béton nécessaire au lestage ou la fixation des panneaux au sol a du être oubliée. Dans notre calcul, nous n’avons pas pris en compte les émissions liées aux raccordements, bâtiment de distribution contrôle, mise en place des chemins d’accès. Il manque des éléments pour les estimer. (Cf exemple de bilan carbone de parc photovoltaïque).
- Avec la méthode Bilan Carbone Ademe, qui donne des valeurs standardisées d’émissions pour le parc photovoltaïque. Dans ce cas on trouve un bilan de 77500 tonnes de CO2 émises sur 30 ans.
Les résultats de chacune des deux méthodes sont équivalents, et supérieurs aux données de Qenergy.
Pour les émissions de CO2 par EDF, on peut retenir deux valeurs :
- Celle calculée par la production intrinsèque d’EDF, qui serait de 44000 tonnes sur 30 ans (donnée base carbone, extraction ci dessous);
- ou bien 73000 tonnes en tenant compte du mix intégrant les importations et exportations ponctuelles (base ADEME).
Quelle que soit la méthode employée, le bilan carbone de la centrale est défavorable de quelques 4000 à 40000 tonnes de CO2 sur les 30 ans d’exploitation. Ce n’est pas surprenant. Il est connu que les fermes photovoltaïques constituent la solution la plus émettrice de CO2 parmi les renouvelables. Le solaire est près de 8 fois plus défavorable que le nucléaire. Ce n’est pas rien et on ne peut que s’étonner résultat du calcul fait par Qenergy. Le déboisement aggrave le bilan.
Données issues du tableur de la base Carbone (Multiplier par 1000 pour les valeurs du projet de Saint Trinit):
Pour conclure...
Nos sociétés sont particulièrement avides d'énergie, et devant les perspectives de réduction de l'emploi des énergies carbonées (ce qui est nécessaire), le monde économique est prêt à vendre aux politiques et individus peu scrupuleux ou mal informés des vrais enjeux, des solutions qui vont à l'encontre des buts recherchés. En particulier, dans l'examen des solutions avancées, tout ce qui porte atteinte aux espaces naturels, et aux espaces forestiers en particulier doit être écarté.
Les centrales photovoltaïques présentent une capacité de production très faible par unité de surface, notamment si on la compare aux autres moyens de production. L'impact environnemental des installations au sol est élevé. C'est pourquoi leur emploi doit être réservé aux surfaces artificialisées, impropres à la culture ou à la forestation. Les forêts doivent non seulement être préservées, mais aussi développées et étendues. Elles constituent un de nos derniers remparts face aux conséquences du réchauffement climatique. C'est le sens de l'action de la Terre du Futur.
Cet article sur le projet de ferme solaire à Saint Trinit a été rédigé par Frédéric Durdux