Avis défavorable sur un projet soi-disant écologique
Le projet Hynovera de construction d’une installation pour fabriquer des biocarburants dont du kérosène avion à partir de biomasse forestière présente très peu d’intérêt.
Il est projeté d'installer cette usine sur l'ancien site du carreau de la mine des Charbonnages de France à Gardanne et Meyreuil, dans les Bouches du Rhône.
Après examen du dossier de consultation, on ne peut pas trouver d’argument en faveur de ce projet, quel que soit l’angle sous lequel on le regarde. Voici l’avis, défavorable, déposé sur le site de la consultation publique.
Les riverains de Gardanne et Meyreuil sont aussi fortement opposés à ce projet de reconversion du site compte tenu des dangers inhérents à cette activité industrielle et des nuisances associées. Ils ont organisé une pétition contre ce projet.
Une réponse à cet avis, apportée par l'équipe de concertation Hynovera, assortie d'un nouveau commentaire peuvent être téléchargés en bas de page.
Les angles d'examen du projet d'usine à biocarburants Hynovera
L'avis déposé sur le site de la consultation publique a été rédigé en examinant :
- les aspects économiques et sociaux;
- les émissions de gaz à effet de serre;
- la pression sur l'environnement ;
- l'intégration au milieu.
Examen des aspects économiques et sociaux
Le document de présentation ne donne pas d’information sur la viabilité économique du projet. Cependant, en analysant les données sur les intrants, les volumes de production escomptés, les investissements nécessaires et les effectifs prévus on peut reconstituer une estimation du coût de production au litre de carburant produit. Pour la phase 1 on prend en compte :
- Consommation électrique phase 1: 0.7TWh par an (700 000 MWh);
- Consommation de bois phase 1: 500 tonnes par jour;
- Consommation d’eau 1500 m3 par jour;
- Main d’œuvre : 50 salariés;
- Investissements à amortir: 460 millions d’Euros (70% sur phase1 estimés);
- Bénéfice raisonnable estimé de 10%;
- Production phase 1: 32000 tonnes de carburant annuelles (moitié kérosène avion, moitié diesel).
En compilant les données de chacune de ces lignes de coûts, en y ajoutant 10% d’externalités (transports amont, coût des frais généraux hors masse salariale et énergie, etc…), on obtient un prix de vente estimé du carburant compris entre 2 et 2.5 euros par litre. Cette donnée ne comprend pas les frais de distribution vers les clients, ni les taxes éventuelles à appliquer. Pour les compagnies aériennes, qui achètent du kérosène à un prix en général compris entre 0.5 et 1 euro du litre en fonction des cours du pétrole, ce serait rédhibitoire. II en est de même pour les usagers particuliers, pour lesquels une fois les coûts de distribution et les taxes appliquées le prix serait supérieur à 3 euros le litre.
Dans ce bilan économique, le poids de la consommation électrique est élevé et prépondérant. Le rendement énergétique nécessaire pour transformer de la biomasse bois en carburant est très défavorable. Dans ce type de processus industriel il faut apporter dans un délai de production court l’énergie que la nature par les processus géologiques a lentement appliquée (chaleur, pression...), pendant des millions d’années, pour fabriquer le pétrole à partir des forêts et autres matières organiques. Le pétrole contient toute cette énergie naturelle emmagasinée pendant des millions d’années. Il est économiquement illusoire de penser rivaliser industriellement avec ce processus naturel.
L’installation industrielle est très consommatrice de capitaux (près d’un demi-milliard d’euros), pour une production somme toute assez limitée. En phase un la production annuelle serait tout juste suffisante pour faire voler deux avions moyen-courrier de type Airbus A320 et alimenter 1500 poids lourds pendant la même période. C’est peu. L’apport emploi est également très faible puisque à terme de la phase 2, on n’envisage pas d’effectif supérieur à 150 personnes, ce qui est très peu compte tenu de l’investissement.
Cette usine ne questionne par ailleurs pas nos usages face au dérèglement climatique : est-il raisonnable de continuer à développer sans fin le transport aérien compte tenu de son impact environnemental ? On peut se passer d’un voyage touristique en Thaïlande ou à Marrakech, mais pas de nourriture, d’eau potable, de vêtements, d’habitat ou de soins. Le pays gagnerait à être réindustrialisé avec des industries pharmaceutiques, textiles, de matériel médical ou encore la machine-outil, plutôt que par des dispositifs tels qu’Hynovera.
Les émissions de gaz à effet de serre
Cette partie est la grande lacune du document de présentation de la consultation. Aucun bilan d’émission des gaz à effets de serre n’est présenté :
- Que ce soit pour la construction des installations industrielles ;
- Ou plus globalement sur l’exploitation de l’usine, et qui devrait incorporer les émissions de catégorie 1, 2 et 3.
Ces bilans d’émission de gaz à effet de serre (BEGES) incorporent toutes les activités liées à la construction, l’exploitation et l’utilisation des produits. Dans le contexte du changement climatique que nous subissons, et qui aura des conséquences catastrophiques sur l’humanité avant 2050, nous ne pouvons pas faire l’économie de ces bilans avant de lancer tout projet d’envergure.
Par ailleurs, présenter cette activité comme une industrie verte parce qu’elle s'appuie sur une consommation de matière première végétale est un trompe-l’œil pour ne pas dire plus simplement une tromperie. Engloutir 500 tonnes par jour de bois équivaut à déforester 2500 hectares sur une année en phase 1. La consommation par les usagers des carburants issus de cette biomasse aura détruit un stockage de 200000 tonnes de CO2 qui se retrouveront dans l’atmosphère sous l’effet de la combustion des carburants. Il faudra au moins 10 ans pour que la forêt restocke cette quantité de gaz à effet de serre. On ne peut pas parler de renouvelable carbone.
Les prélèvements de bois en exploitation forestière pour l’industrie doivent être réservés exclusivement pour des usages durables, tels que la construction ou l’ameublement, qui vont permettre de garder le bénéfice de stockage du carbone sur une longue durée. Il faut par ailleurs noter que le processus de fabrication Hynovera comporte un sous-produit hydrogène employé en interne pour le site. Outre les risques inhérents à la manipulation de ce gaz, il a pour caractéristique de présenter un potentiel de réchauffement global (ou pouvoir de réchauffement du gaz) 11 fois plus fort que le CO2. C’est par ailleurs un gaz qu'il est difficile de stocker de façon très étanche du fait de la petite taille des molécules. Les rejets d’hydrogène qui seront inévitables et leur impact GES ne sont pas quantifiés.
La pression sur l'environnement
La pression sur l’environnement s’exerce de quatre façons, par :
- Les prélèvements de bois matière première et la destruction de la forêt ;
- La consommation d’eau prélevée sur les systèmes d’alimentation du canal de Provence;
- La surface employée par l’installation industrielle ;
- Les rejets de polluants en exploitation ;
C’est la pression sur la forêt qui est la plus préoccupante dans ce projet. Le document de présentation ne qualifie pas et quantifie encore moins l’impact des prélèvements sur le milieu forestier. La forêt ne peut pas être considérée comme un réservoir de matériau pour nos usages quotidiens. Nous avons besoin de préserver et développer nos forêts car elles constituent un des seuls remparts dont nous disposons face aux conséquences du réchauffement climatique. C’est la capacité des forêts à entretenir le cycle de l’eau qu’il faut considérer. Par rapport à des sols nus, ou d’autres cultures, elles favorisent l’absorption et le stockage de l’eau de pluie dans les sols. Elles régulent ensuite le retour dans l’atmosphère par évapotranspiration, renforçant ainsi les régimes de pluie. Face à un climat de plus en plus sec, avec des pluies qui s’espacent en devenant plus violentes, les forêts forment une protection indispensable. Réduire leurs surfaces avec des prélèvements pour des usages non essentiels et non durables nous conduit vers la désertification. Ce phénomène est à l’œuvre au Brésil par exemple.
Nous avons eu la chance d’avoir une forêt qui s’étendait chaque année en France, à hauteur de 70000 hectares par an environ selon l’IFN, et ce jusqu’en 2021. En 2022 les mégafeux de forêts en France ont consommé l’équivalent de cet accroissement. Par ailleurs le rapport annuel de l’IFN alerte sur l’accroissement du taux de mortalité des arbres, dont les causes sont la température, la sécheresse, les maladies plus nombreuses. Nous ne pouvons plus tenir pour acquis cet accroissement naturel de la forêt française. Les prélèvements additionnels du projet Hynovera sont donc particulièrement malvenus.
Le postulat selon lequel le système du canal de Provence met à l’abri des sécheresses les régions qu’il irrigue ne tiendra pas face à la violence du réchauffement climatique. L’été 2022 a été représentatif des sécheresses à venir, mais qui auront chaque année plus d’ampleur. Chacun a en mémoire le niveau du Verdon de l’été 2022, résultant à la fois de précipitations estivales qui s’espacent, et des fontes précoces de la neige et névés en montagne qui stockent l’eau. Là encore, les prélèvements additionnels pour le projet Hynovera, équivalents à la consommation en eau d’une ville de 12000 habitants (phase 1) sont malvenus.
L'intégration au milieu
L’urbanisme de Gardanne-Meyreuil est typique de ce qui s’est passé depuis 4 décennies avec un étalement urbain résidentiel qui a rattrapé et entouré les zones industrielles. Il faut tenir compte de cette réalité et ne plus chercher à intégrer des activités de type ICPE dans de tels environnements.
Production de kérosène avion avec la biomasse forestière, conclusion
Globalement le projet Hynovera présente bien plus d’inconvénients pour le milieu naturel, les émissions de gaz à effets de serre, les risques pour les riverains, alors que le bilan économique et social est très mauvais. Il ne peut en aucun cas être qualifié d’écologique car il ne respecte pas le cycle long du carbone. Il absorberait un montant d’argent public non négligeable qui serait mieux investi dans des projets au réel caractère durable, servant des besoins essentiels.
J’émets un avis très défavorable sur ce projet.
Frédéric Durdux
Expert industriel et bilan carbone.
Fondateur de la Terre du Futur®
Pour aller plus loin
Ce projet génère une très forte opposition de la part des riverains, rassemblés dans le collectif « Hynovera on n’en veut pas ».
Une pétition contre le projet Hynovera est également disponible en ligne.
Le dossier de la consultation publique est disponible en ligne. Chacun peut y déposer un avis jusqu'au 21 novembre 2022.
Une association a été créée pour lutter contre ce projet. On peut y adhérer en écrivant à: contre.hynovera@gmail.com.
On peut aussi consulter les autres pages de ce site, notamment celles concernant l'emploi de la biomasse forestière :
- l'énergie du futur;
- l'importance de la forêt sur le cycle de l'eau et la prévention des sécheresses.
- l'état de la forêt en France.